Retour sur l’affaire Roland qui a secoué la vie Toulousaine ces derniers jours.
Roland, les squatteurs et les médias – Toulouse
CREA – 15 février 2021
L’emballement des médias autour du squat d’une des propriétés de monsieur Roland commence il y a 10 jours. La Dépêche du Midi raconte que Roland venait « une fois par semaine » dans cette propriété depuis plusieurs mois, pour se « reposer et entretenir la maison ». En septembre l’aide-ménagère (ou l’agence censée vendre la maison selon l’une ou l’autre des deux versions relatées dans les médias) remarque que des précaires s’y sont installés. Le propriétaire lance une procédure d’expulsion. Quelques semaines plus tard, le 23 octobre le jugement tombe : l’expulsion aura lieu à la fin de la trêve hivernale. Mais le lundi 1er février, l’annonce de la prolongation de la trêve hivernale par la ministre du logement pousse Roland et sa famille à médiatiser l’affaire et à agiter les réseaux sociaux afin d’obtenir une expulsion hors cadre légal. En effet, Roland veut vendre sa maison, et doit attendre deux mois de plus. Il ne le supporte pas. L’affaire est rapidement reprise par l’extrême droite locale et les réactionnaires de tous bords qui n’ont pas hésité à semer la confusion en reprenant une version fallacieuse et à attirer une compassion nationale sur une version tronquée de l’histoire. Le relais médiatique de Roland s’organise, et dès le mardi, plusieurs rassemblements de soutien se succèdent jusqu’à ce que les occupants décident de quitter les lieux jeudi soir.
Nous, collectif d’entraide entre squats sur Toulouse existant depuis maintenant près de dix ans, tenons à revenir sur certains points de cette affaire. Notamment d’une part, sur les approximations, les fausses vérités, l’instrumentalisation médiatique, l’emballement irrationnel des réseaux sociaux et d’autre part, afin de réaffirmer notre positionnement politique – qui tranche avec le malaise palpable de certains de “nos camarades”.
Contrevérités dans l’affaire Roland
Tout d’abord, non, monsieur Roland n’est pas le “pauvre petit propriétaire” dépeint par les médias. Cette maison estimée à 600 000€ n’est pas son seul bien. Il possède au moins un autre appartement à Albi. Selon nos informations, il aurait également vendu une autre de ses propriétés dernièrement. Déroulant un récit misérabiliste, la machine médiatique a mis en avant que la maison était remplit de souvenirs et qu’il y avait du passage régulier. Il est clair que tout cela est mensonger : cette maison est vide d’occupant depuis plusieurs années et a même été squattée dans le passé ! Déjà à l’époque, la maison n’abritait rien, si ce n’est quelques vieux meubles, et en aucun cas « des souvenirs d’enfance » (propos vérifiés par les vidéos post-expulsion mise en ligne sur ladepeche.fr le 13 février). La mise en vente de la maison avait même été entravée par un refus de la mairie à l’automne 2019 afin d’éviter que ce bien ne revienne à des promoteurs immobiliers qui voulaient la raser pour y construire un immeuble. Rien à voir donc avec une vente urgente nécessaire à la survie de la famille du propriétaire. Nous ne sommes pas les seuls à faire ce constat puisque que la justice elle-même en a tiré les mêmes conclusions. Confirmé par plusieurs sources dont RTL et La Dépêche (12 février), l’urgence imminente à la vente de ce bien a été écartée au regard des revenus plus que confortables du couple Roland. On est bien loin de l’image du miséreux qui se retrouve à la rue face aux méchants squatteurs, image à laquelle de nombreuses personnes plongées dans une précarité rampante ont pu alors s’identifier. Bien évidement, tous les propriétaires ne sont pas riches, nous ne connaissons que trop bien les réalités des travailleurs pauvres s’éreintant à payer les traites d’une vie, mais ce n’est absolument pas le cas ici.
D’un point de vue strictement juridique, et comme dans chaque épisode médiatique de ce genre, de nombreuses approximations, d’erreurs manifestes, voire de mensonges délibérés ont été érigés comme vérités.
En premier lieu, beaucoup d’aberrations ont été dites portant sur les délais de procédure. La maison est occupée à partir de septembre, et le jugement d’expulsion est rendu le 23 octobre. France 3 dans son article datant du 10 février « Voici ce que dit la loi » explique la procédure à opérer mais oublie de préciser que les expulsions de squat sont traitées en référé par le Tribunal judiciaire, c’est-à-dire en urgence, ce qui est loin d’une procédure “longue et onéreuse”. À Toulouse, et ce depuis plus de dix ans, ces procédures sont quasi automatiquement traitées avec un zèle légendaire et exceptionnel dans le paysage national. 45 jours pour délivrer une sommation de quitter les lieux, assigner au tribunal, avoir une audience et obtenir une ordonnance d’expulsion, relève presque du miracle administratif et judiciaire ! Et tout cela en période de crise sanitaire mondiale qui évidemment ralentit les procédures.
Ici et là, on entend dire qu’en bout de course les préfectures rallongent les délais en tardant à accorder le concours de la force publique. Mais pour ce qui est de nos expériences communes, la préfecture de Toulouse assure une veille assidue : elle expulse autant qu’elle peut et dès qu’elle le peut. Sur la dernière décennie, nous avons même constaté une accélération impressionnante des accords de concours à la force publique. À titre d’exemple, lorsque le concours de la force publique est demandé par l’huissier de justice, la direction des services du cabinet et des sécurités délivre cet accord en quelques heures seulement. Le lendemain de la fin de la trêve hivernale 2020, trois squats ont été expulsés préfigurant le rythme ordonné par la préfecture jusqu’au 31 octobre.
Pour deuxième point, il a été déclaré à plusieurs reprises que monsieur Roland a perdu son procès. Alimentant un imaginaire fantasmé et diffusé par la machine médiatico-répressive, nous avons même lu sur certains sites d’information de nos camarades que la juge aurait refusé l’expulsion. Maître Serdan, fameux avocat du bailleur social Toulouse Habitat – qui n’hésite pas à expulser des centaines de personnes chaque année dont des familles avec enfants, affirme même avec aplomb dans la Dépêche du 9 février qu’« obtenir une expulsion devient difficile ». Mettons-les choses au clair : l’expulsion des occupants est toujours ordonnée. Les propriétaires gagnent toujours leurs procès. Pour le dire d’une autre manière, 100% des procédures d’expulsion finissent par une expulsion. Il n’existe aucune jurisprudence donnant gain de cause aux squatteurs.
Si des occupants sont toujours là plusieurs mois après un jugement d’expulsion, c’est parce qu’il existe des délais légaux pouvant être obtenus en fonction de la situation des deux parties. Ils empêchent une expulsion en pleine trêve hivernale ou avant un délai de deux mois après la signification d’un commandement de quitter les lieux. La trêve hivernale, contrairement à cette fausse vérité largement relayée par les politiques et les médias, peut tout à fait s’appliquer au squat. Nous sommes pleinement conscients qu’il ne s’agit pas là de cadeaux, ce ne sont que les cadres qui permettent de contenir l’explosion de la misère sociale. Si la trêve hivernale a été rallongée au 1er juin ce n’est pas parce que le gouvernement de Macron a changé de cap, c’est uniquement parce que nous nous trouvons dans une situation où la question sociale du pays frôle le débordement. Notre président a sans doute encore en mémoire ce qu’une gronde populaire peut faire. Ces sursis à l’expulsion évitent que des familles soient trop fréquemment jetées à la rue en hiver, comme à Bordeaux jeudi dernier ou, en décembre à Angers.
Ces décisions de justice peuvent faire l’objet d’un recours. Si monsieur Roland n’était pas satisfait des délais légaux accordés aux occupants, pourquoi il n’a-t-il pas exercé ce recours ? Parce que tout simplement le tribunal lui a donné raison, et a ordonné une expulsion, sans compter l’indemnité d’occupation qui lui a été accordée à hauteur de 500€ par mois. Il est clair que le déchainement autour de cette situation est le fruit de l’instrumentalisation des médias ainsi que de l’extrême droite dont les idées nauséabondes traversent l’ensemble du spectre politique actuel. Personne n’en veut à Roland et sa famille. Personne non plus ne squatte par plaisir. Il faut être bien loin de ces situations pour croire le contraire. Il nous semble bon de rappeler certaines vérités afin d’avoir une vision plus cohérente avec la réalité des faits : il ne s’agit en rien de la « lutte » d’un petit papi pauvre aspirant seulement à rejoindre son épouse en maison de retraite versus les méchants anarchistes sans vergogne. Il est urgent d’ouvrir les yeux sur ces évidences.
Réactions politiques à l’affaire Roland
Par ailleurs, nous prenons à témoin chacun des acteurs politiques locaux à qui nous sommes confrontés depuis de nombreuses années. Vous connaissez parfaitement la situation alarmante de l’hébergement d’urgence et du logement à Toulouse. Or vous choisissez délibérément de raconter de la merde en profitant de la lumière médiatique de cette histoire.
En pole position : Jean-Luc Moudenc, en sa qualité de maire de Toulouse. Il a tweeté « Lors du dernier #ConseilMunicipales de Toulouse, un vœu pour permettre aux maires d’être à leurs côtés en justice [les propriétaires] a été voté. ». Il démontre une nouvelle fois son incompétence manifeste à régler les questions sociales de la ville. Administrateur de la veille sociale du 115, il connaît que trop bien la saturation de l’hébergement d’urgence sur Toulouse et malgré ça il choisit de soutenir mordicus les propriétaires sans un mot pour celles et ceux qui n’ont rien. Sans grande surprise car on sait que la mairie de Toulouse n’hésite pas à mettre des familles à la rue, peu importe si vous êtes malade, si vous avez des enfants ou si c’est l’hiver – comme en février 2019.
Autre champion en la matière, l’adjoint Daniel Rougé, en charge des politiques de solidarités et des affaires sociales. C’est lui qui a fièrement envoyé des “médiateurs” pour négocier avec les occupants de la maison de monsieur Roland. Ils ont été parfaitement inutiles. Daniel Rougé a pourtant conscience qu’ils n’ont aucune marge de manœuvre puisque la mairie ne propose pas de solution adaptée face à la précarité au logement. Depuis près de 3 ans, cet adjoint s’entête, malgré le refus de l’ensemble des collectifs de réquisition, à recenser les personnes sans-abris sur Toulouse, dont les squatteurs font partie. À part pondre des statistiques indicatives, ces opérations ne servent strictement à rien car aucune solution de relogement n’a jamais été proposée. Les associations, les travailleurs sociaux du 115 de Toulouse et leurs mouvements de grève passés, dénoncent par ailleurs sans cesse le manque de moyens et peinent à être entendus.
De plus, c’est avec certaine stupéfaction que nous avons constaté à quel point cette affaire a semé la confusion. Un élu de l’opposition cette fois, pourtant ancien porte-parole du DAL 31, s’est pris à crier avec les loups. Il apporte son soutien à Roland et tweete «se faire expulser de son logement est toujours un drame ». On marche carrément sur la tête ! Ceux qui se sont fait expulser ici, ce sont les occupants de la maison, pas Monsieur Roland ! Ces déclarations politicardes sont franchement indigestes et vont à l’encontre de la solidarité qu’il est censé exprimer aux occupants.
Le squat est politique
Il existe différentes stratégies au sein du mouvement d’occupation. De nombreuses associations demandent des réquisitions d’Etat, d’autres somment les pouvoirs publics de reloger chaque occupant. Notre position est plus simple.
Dans la logique capitaliste, la propriété privée prévaut sur le droit d’usage et la solidarité. A l’inverse, certains pays font le choix d’instituer une “fonction sociale de la propriété” : ce qui prime, c’est uniquement de savoir si la terre et ses constructions ont bien une utilité véritable, c’est-à-dire où le droit individuel à la propriété n’écrase ni l’intérêt commun ni la justice sociale. Dans notre logique, qui sort des intérêts de la bourgeoisie, de l’État et du capital : des bâtiments sont vides, des gens sont à la rue, l’équation est vite résolue. Parmi nous, des galérien.ennes, des sans-toit, des sans-travail, des privé.e.s de papiers, des étudiant.e.s, des travailleurs.euses précaires, des gens qui en ont marre de ce système, des gens solidaires… qui vivent et s’organisent ensemble. Ce qui nous anime et rassemble c’est l’idée de justice sociale, la volonté de vivre dignement et par tous les moyens nécessaires. Nous prenons notre droit à l’autodétermination de nos vies, dans un contexte où la loi française est incroyablement accrochée au concept de propriété.
Nous avons décidé d’occuper des bâtiments qui sont vides depuis des années, abandonnés aux spéculations immobilières, des maisons vouées à la destruction au profit de la gentrification globale de nos villes, ou des fois simplement des lieux oubliés. On ne squatte jamais de maisons habitées, ça n’existe pas. Il ne s’agit que d’une légende relayée par la presse pour entretenir la peur de l’autre – la peur du pauvre qui s’installerait chez vous quand vous êtes en vacances. Ce genre d’histoire à scandale, ça n’arrive pas dans la vraie vie. Et si parfois les propriétaires de lieux squattés se trouvent être des particuliers, il s’agit souvent de multipropriétaires ayant déserté leurs murs ou de maisons qui ne plus utilisées par personne depuis longtemps. Des personnes, des familles entières dorment dehors alors que des millions de logements sont vides. À Toulouse, le dernier taux de refus enregistré au 115 est de 90%. Tous les soirs, des dizaines de familles qui les appellent se retrouvent sans solution, sans compter ceux qui n’appellent plus, fatigués de s’entendre dire qu’il n’y a pas de place. Pour y faire face, elles vivent en squat, dans leurs bagnoles ou dans leurs tentes, été comme hiver. C’est bien dans l’ensemble de ces vérités que se trouvent la véritable « honte » de la France.
À ceux qui veulent justifier le déferlement de haine et la pression qu’ont subi les habitants du squat de Roland pour les contraindre à partir par le fait qu’ils soient “seuls, jeunes ou étudiants”, nous répondons que si la veille sociale refuse des places à des personnes malades et à des enfants (censés être prioritaires), vous pensez bien qu’il y en a encore moins pour des gens tout seuls ! Quand il y en a, ce sont des solutions totalement inadaptées. L’hébergement d’urgence à Toulouse se résume dans la majorité des cas à attribuer des chambres d’hôtels miteuses souvent infestées de punaises de lit, pour une durée incertaine. Rien n’est fait pour accompagner vers un logement pérenne ni chercher une solution en adéquation avec les choix des personnes. Les fonds alloués par l’état chaque année se résument à dépenser des millions d’euros – plus de 10 à Toulouse, dans des nuitées d’hôtel au lieu de créer et construire des projets de vie adaptés à chacun. Des fonds littéralement jetés par la fenêtre, payés par nos impôts. Alors que la crise sociale et économique s’enracine, alors qu’on voit des fils d’étudiants faisant la queue pour obtenir un repas gratuit, alors qu’il y a un million de pauvres en plus,
À ceux qui veulent les mépriser en parlant de simples “squats politiques”, nous répondons que le squat est forcément politique car il va, de fait, à l’encontre de toutes les structures libérales et racistes. Alors que la crise sociale et économique s’enracine, la liste des pauvres s’allonge de jour en jour. Il devient évident que ce genre de pratiques tend à s’étendre. Il est de notre survie de défendre nos pratiques d’auto-organisation.
Les raisons qui nous amènent à squatter sont parfois différentes. Mais ce que nous savons tous, c’est que sous prétexte de discréditer une occupation singulière, c’est en réalité une attaque de fond qui a lieu. Dans les discours critiques que l’on entend, on ne se demande plus qui se fait squatter, par qui et dans quel contexte : on en vient juste à s’insurger contre le seul principe du squat, soit une remise en cause totale de notre existence au profit d’une sacralisation aveugle de la propriété immobilière. Nous savons que si nous ne défendons pas l’ensemble des occupations, il nous sera bientôt reproché notre propre misère.
Nous, membres de la CREA, qui nous organisons par et pour nous-mêmes pour faire face à la galère quotidienne, apportons sans réserve toute notre solidarité de fond à tous les squats et leurs habitants. Nous ne disparaîtrons pas tant que la misère existera, ni à coups de tonfa magique ni à coups d’alertes BFM !
Tout pour tou.t.es
Pouvoir au peuple !
La CREA – Toulouse.